L’agriculture à visage découvert

Vous ne les connaissez pas, mais leurs visages vous sont peut-être familiers : ce sont les agriculteurs dont le portrait s’affiche sur vos briques de lait, fromages ou emballages de pain.
Ils s’appellent Sébastien, Nathalie, Emmanuel, Josiane… Et ils ont au moins deux points communs : le premier est qu’ils exercent le métier d’agriculteur (céréaliers, éleveurs, etc.). Le deuxième est que vous les connaissez. Comment, ça ne vous dit rien ? Réfléchissez bien ! Non, décidément, vous ne vous souvenez pas de les avoir déjà rencontrés ? Allez, on vous donne un indice : jetez un œil sur votre boite de camembert, votre brique de lait ou sur l’emballage de votre baguette de pain. Ah, ça y est, ça vous revient, maintenant : tous les gens que nous venons de citer, et bien d’autres encore, ornent de leur photo bon nombre de produits alimentaires : viande, lait, céréales à cuire, pain, beurre, et la liste est longue.
Un système présenté comme gagnant-gagnant
On nous les décrit comme « engagés », respectueux de l’environnement, et rémunérés de façon « plus juste ». Un système quasi-idéal où le consommateur mangerait mieux et où le producteur gagnerait correctement sa vie. Du gagnant-gagnant ! On renvoie ainsi une image de proximité avec le producteur qui ne peut que plaire au consommateur. On a presque l’impression que Sébastien, Nicolas, Anthony et les autres sont invités tous les jours à la maison. Et ce n’est pas une vue de l’esprit puisqu’ils sont bien présents, en photo, quotidiennement, à la table du repas. Si c’est pas du circuit court, ça !
Tout sauf des circuits courts
Eh bien, non, justement ! Un circuit court, c’est quand le consommateur a directement affaire au producteur pour faire ses achats. Quand je vais acheter des produits directement à la ferme, je rencontre l’agriculteur « en vrai » (ou sa femme, son mari, son employé). Pareil quand je me rends dans une boutique de producteurs. Si les photos des producteurs en question sont affichées dans le magasin, il y a de fortes chances que j’en retrouve au moins un dans les rayons ou à la caisse.
Dans le cas qui nous occupe, rien de tel. Même si c’est la tête de Nathalie qui apparait sur ma brique, ce n’est sûrement pas le lait de ses vaches que je vais boire. Car il sera passé par tout un système de collecte, de stockage, de conditionnement, de transport et de distribution dont on ne nous dit rien. On jette un voile pudique sur les intermédiaires. On sait seulement, dans le meilleur des cas, que l’agriculteur a signé un contrat tripartite, incluant producteur, transformateur et distributeur, visant notamment à fixer un prix d’achat au premier échelon de la filière.
Rien de plus qu’une image
Rappelons quand même que les fameuses négociations tripartites, encouragées par la loi Egalim, ne sont pas obligatoires, et que la présence de la DGCCRF, réclamée par la convention citoyenne, n’a pour l’heure pas été retenue.
Les photos des agriculteurs sur nos produits du quotidien ne sont que ce qu’elles sont : une image. Une image de proximité, presque de connivence, avec un producteur qui est pourtant bien loin de nous, séparé du consommateur par une longue chaine d’intermédiaires.
Quelle sera la prochaine étape de cette proximité factice ? Des images d’agriculteurs générées par intelligence artificielle ?