UFC-Que Choisir de l'Indre et Loire

Alimentation-Santé-Eau, Consommation

Colère agricole : un soutien massif mais pas à tout prix

 

Les Français soutiennent massivement la colère des agriculteurs mais dans le même temps réduisent petit à petit leurs dépenses d’alimentation.

Tous les sondages vont dans le même sens : le récent mouvement de colère des agriculteurs a reçu un très large soutien dans l’opinion (parfois plus de 90%), alors même que les blocages de routes ou d’autoroutes ont pu occasionner une gêne certaine pour nombre de gens. D’où la conclusion immédiate tirée par les observateurs : les Français, dans leur écrasante majorité, ont compris que ce sont les paysans qui nous nourrissent et soutiennent largement leur revendication principale, qui est de pouvoir vivre décemment de leur activité professionnelle.

Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit. Parce que la vraie question qui se pose est finalement celle-ci : les consommateurs sont-ils prêts à payer le juste prix pour que les producteurs en retirent un revenu correct en produisant une alimentation de qualité ? On peut toujours incriminer – à juste titre d’ailleurs – les marges des industriels de l’agroalimentaire et de la grande distribution, mais au final, c’est quand même le consommateur qui met la main au porte-monnaie.

La part de l’alimentation en baisse constante

Or, depuis les années 60, la part de l’alimentation dans le budget des ménages n’a cessé de se réduire. Selon les produits pris en compte dans les calculs, le pourcentage peut varier, mais avec une constante : cette part a été divisée par deux. Dans le même temps, celle des loisirs et de la communication, par exemple, a suivi la courbe inverse. Alors, sommes-nous prêts à payer plus, aux dépens d’autres dépenses non-contraintes (les loisirs par exemple) pour payer à leur juste prix des denrées de qualité produites en France ?

On a connu le même genre de situation avec la crise du textile il y a un demi-siècle. Là aussi, les gens se disaient de tout cœur avec les ouvriers et ouvrières des filatures du Nord, alors que les usines fermaient l’une après l’autre. Mais ces mêmes gens, faute de moyens, achetaient leurs teeshirts, en provenance d’Asie du sud-est, à des prix évidemment sans commune mesure avec ceux pratiqués à la sortie des usines du nord de la France. On connait la suite…

En fait, une partie du problème se trouve dans le constat suivant : le poids de l’alimentation dans le budget des familles est d’autant plus élevé que le niveau de vie est faible : les 10 % des ménages qui ont le niveau de vie le plus faible consacrent 18 % de leur budget à l’alimentation, alors que pour les 10 % qui ont le niveau de vie le plus élevé cette part est de 14 %. Dès lors, on comprend bien qu’il est difficile de reprocher à des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts et dont le budget nourriture est proportionnellement plus important d’acheter les fameux poulets ukrainiens ou chiliens à 3€ le kilo. Même s’ils éprouvent une réelle sympathie pour nos agriculteurs et s’ils savent que ce poulet est un produit vraiment bas de gamme, avec tout ce que ça implique, y compris pour leur santé.

Je t’aime, moi non plus !

Alors, au milieu de ce concert de louanges un rien hypocrites, entre la grande distribution qui affirme qu’elle fait tout pour que nos paysans vivent mieux, mais que ce sont les industriels de l’agroalimentaires qui s’en mettent plein les poches, ces derniers qui leur renvoient la balle tout en réaffirmant, la main sur le cœur, tout leur amour pour le monde agricole, et les consommateurs qui soutiennent massivement la colère des paysans mais réduisent d’année en année leur budget alimentation, quel soutien réel peuvent espérer les agriculteurs ?

Du côté des consommateurs – c’est celui qui nous occupe -, il y a de bonnes pratiques que l’on peut essayer de mettre en application :

– acheter des produits de saison ;

– préférer viandes, fruits et légumes français, produits le plus près possible de chez soi ;

– privilégier les circuits courts pour éviter les intermédiaires, et même, quand on le peut, se fournir auprès du producteur lui-même.

Il y a aussi des solutions plus globales comme faire pression sur l’agroalimentaire et la grande distribution pour qu’ils réduisent des marges mortifères pour notre agriculture. L’idée d’une Sécurité sociale alimentaire commence aussi à faire son chemin.

Alors, rendez-vous dans 50 ans pour savoir si les agriculteurs s’en sont mieux tirés que les filatures du Nord ?